Le passage à 80 km/h devrait réduire la pollution. Mais rien n’est moins sûr. Démonstration.
par Laurent Meillaud
Si l’on en croit l’argumentaire adressé aux préfets en fin d’année dernière, dont les chiffres ont été repris dans le cadre d’une campagne de presse, en février et en mars, la réduction de 90 à 80 km/h devrait permettre de réduire de 30% les émissions polluantes. La Sécurité Routière précise qu’elle parle du CO2, ce qui est cohérent avec le gain affiché de 120 euros par an au niveau du porte-monnaie, en raison d’une moindre consommation de carburant. Or il faut préciser que justement, le CO2 ce n’est pas un polluant, mais un gaz à effet de serre.
Mais le problème, surtout, c’est que la Sécurité Routière appuie son argumentation sur un rapport de l’ADEME, qui date de 2014 et contredit ces affirmations. Il a pour nom « Impacts des limitations de vitesse sur la qualité de l’air, le climat, l’énergie et le bruit ». On peut en effet lire en introduction, à propos de la baisse des vitesses sur les voies rapides (autoroutes, routes), que “la baisse des émissions peut atteindre 20% pour les oxydes d’azote et les PM 10 et celle des concentrations de polluants dans l’air ambiant pouvant atteindre 8% selon les polluants.”
Une augmentation de la pollution
Mais, surprise : le seul exemple qui concerne justement le passage de 90 à 80 km/h a été calculé pour les seuls camions en mode macroscopique. Il estime à 6% seulement la baisse du CO2. Par contre, il y aurait une augmentation de la pollution : + 3% pour les oxydes d’azote et +4% pour les particules. Un autre tableau avec une méthode de calcul en mode microscopique évalue entre 9 et 16% la baisse du CO2 et estime jusqu’à de -11 à -29% la réduction pour les NOx et de -11 à +3% celle sur les particules. Mais, cela concerne… 4 PL. C’est du précis !
Et évidemment les mesures réalisées in situ n’ont pas été faites sur le passage de 90 à 80. C’est donc la preuve, une fois de plus, qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant les chiffres qu’on nous raconte, à propos de cette mesure de moins en moins crédible.
Et c’est d’ailleurs ce que pensent aussi les spécialistes… Et on parle là des véritables experts, j’entends ceux qui travaillent sur les moteurs dans l’automobile. Pour eux, les gains seraient minimes, sinon nuls. Par exemple, les boîtes de vitesses automatiques de dernière génération auront même tendance à rétrograder à 80 km/h et à faire consommer plus, dans certains cas.
Une conduite plus agressive
J’aime bien ce passage de l’étude de l’ADEME de 2014, qui précise que "le type de conduite des usagers, apaisé ou agressif, est une variable aléatoire qui ne dépend qu’en partie de la baisse de la limitation de la vitesse."
En effet, même si une vitesse plus basse contribue à apaiser la circulation, certains conducteurs adopteront une conduite agressive pour contrebalancer l’augmentation de leur temps de trajet occasionné par la limitation de vitesse. Or, ce mode de conduite entraine une augmentation des émissions de COV (composés organiques volatils) et de NOx respectivement de 15 à 400% et de 20 à 150% et une hausse de la consommation en carburant de 12 à 40%.
L’ADEME rappelle aussi que "de nombreux facteurs extérieurs à la limitation de vitesse influent sur la réalité des émissions et des concentrations atmosphériques ou sur les moyens d’évaluation mis en œuvre, le tout entraînant une grande variation des résultats.”
Le plus amusant est qu’une étude récente et très fouillée du ministère de l’Écologie pointe du doigt la faible économie que va apporter le passage à 80 km/h sur les routes secondaires. Le gain en consommation serait de 1%, d’après ce rapport.
Une mesure pour lutter contre l'accidentologie, mais pas contre la pollution
Conclusion de ce même rapport du ministère de l’Écologie : “Les effets positifs de l’abaissement des VMA (vitesses maximales autorisées) résident essentiellement dans la diminution de l’accidentologie (sous réserve des incertitudes mentionnées dans le rapport). Si l’objectif est de diminuer l’accidentologie, réduire les vitesses sur l’ensemble des réseaux structurants n’est probablement pas la méthode la plus efficace pour y parvenir.
Il faudrait au contraire cibler les mesures sur les secteurs les plus accidentogènes, notamment les routes départementales et nationales bidirectionnelles. C’est sur ce périmètre que le bilan socio-économique est positif et que la mesure a le plus de sens.
On remarquera qu’en tout état de cause, des effets faibles sur l’environnement ont été estimés dans les scénarios et que la mise en place d’une telle mesure ne devra pas compter sur des bénéfices ou améliorations notables sur ce point.”
Et si un jour, on veut nous imposer le 70 km/h parce que le 80 km/h a échoué, l’ADEME nous indique qu’à cette vitesse, les poids lourds émettent 10 fois plus que les véhicules légers !
Source : Contrepoints